Bien accepté dans toute l’Europe, voire même encouragé au Royaume-Uni, le concept de coavionnage reste peu connu encore en France. Et pour cause : s’il a toujours existé, il se heurte dans notre pays à de nombreuses contraintes réglementaires, qui limitent son développement sur le territoire national – en dépit du droit européen. De nombreux débats sont en cours en Europe, afin de définir un cadre légal à sa pratique et encourager son expansion.
Qu’est-ce que le coavionnage ?
De la même manière que le covoiturage, le coavionnage consiste à mettre en relation des voyageurs, avec des pilotes privés brevetés, désireux de louer les places libres de leurs avions pour partager les frais de vol : location de l’appareil, carburant, coûts d’aérodromes, ….
Si ce concept de vol « partagé » fonctionne depuis de nombreuses années, il était jusqu’alors autorisé pour un cercle restreint, familial ou amical, du pilote, soit dans un cadre privé. C’est l’émergence des plates-formes internet de coavionnage, il y a à peine un an, qui a donné plus d’ampleur à l’idée. Ainsi, Coavmi, Wingfly, Wingshare, Offwefly, ou encore Aerostop ont permis de démocratiser l’accès à l’aviation privée, grâce à la diffusion des offres et places vacantes via leurs plates-formes respectives. Une fois le vol effectué, usagers et pilotes ont la possibilité de se noter mutuellement.
Une expérience unique mais qui soulève de nombreuses questions
Certes, le coavionnage n’est pas réservé à tous les budgets. Il reste, et ce pour des raisons évidentes, plus coûteux que le reste du marché ; environ trois fois plus cher que le covoiturage, deux fois plus cher que le train. Comptez plus ou moins 140 euros pour une heure de vol. Cela dit, spectacle et dépaysement sont assurés.
Les avantages de ce concept sont certains : le coavionnage permet des gains de temps énormes, en comparaison d’autres modes de transport. De plus, il offre une ample couverture du territoire – la France compte plus de 600 aérodromes, dans des zones en général peu couvertes par les covoiturages ou les trains. Pour le pilote, il s’agit non seulement d’un moyen de compenser ses propres frais, mais aussi d’accumuler des heures de vol et gagner en expérience.
Cependant, ce concept soulève également de nombreux doutes, notamment en matière de sécurité. Ces questions sont largement relayées par les détracteurs du coavionnage, qui mettent en avant le manque d’expérience des pilotes (qui sont des passionnés d’aviation de loisir, mais pas des professionnels), ainsi que l’absence totale de régulation. Il existe aussi des risques que les pilotes se voient « poussés » par certains clients ayant réservé leur place, à décoller coûte que coûte vers la destination prévue, en dépit parfois des conditions météorologiques. D’ailleurs, en cas d’accident, la position des assureurs reste aussi encore floue, les pilotes n’ayant pas, juridiquement, la possibilité d’exercer ce type d’activité commerciale.
Le coavionnage face à ses propres limites
L’émergence de ces plates-formes internet, et le basculement d’une activité privée sur la sphère publique a poussé la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile) à étudier la règlementation en vigueur et statuer sur la place du coavionnage sur le marché. Son verdict, tombé en janvier 2016, est sans appel : avec la diffusion des offres commerciales sur internet on sort du cadre traditionnellement privé et autorisé par la loi, pour rentrer dans une activité commerciale publique, régie par les mêmes normes et contraintes que celles des compagnies aériennes classiques.
A ce titre, elles devraient donc se doter d’un certificat de transporteur aérien (CTA), ainsi que d’une licence d’exploitation, autant de coûts que les pilotes privés ne peuvent pas assumer. En l’état, donc, la DGAC considère cette activité comme illégale et n’a de cesse de lutter contre les nouveaux arrivants sur le marché ; ce qui a d’ailleurs poussé Aerostop à cesser, de manière temporaire, son activité.
Le droit européen prend le contre-pied de la DGAC
Preuve, s’il en est, de la complexité du sujet, l’EASA (Agence Européenne de Sécurité Aérienne) propose une toute autre interprétation, dans le sens où elle refuse d’assimiler les vols à frais partagés à des vols commerciaux. En conséquence, la législation européenne envisage de donner le droit, à un pilote privé, d’opérer ces vols, sans se soumettre aux contraintes fixées au transport public de passagers et à l’aviation commerciale. L’unique condition requise, et prévue dans cette prochaine régulation Air Ops n° 965/2012, est que les frais soient divisés entre tous les occupants, pilote compris, pour un nombre maximum de 6 personnes.
Elle recommande également que le public soit informé, en amont, des risques d’annulation en cas de mauvaises conditions climatiques, ainsi que des questions de sécurité.
Quel avenir pour le coavionnage ?
On en saura un peu plus sur le futur du coavionnage aux environs du 25 août 2016, date d’entrée en vigueur de la nouvelle règlementation européenne Air Ops n° 965/2012, qui fixe les normes continentales en matière d’aviation commerciale. Menacée par cette norme, qui supplantera vraisemblablement la régulation nationale, la France tente de convaincre l’EASA sur ces questions de sécurité.
En parallèle, la DGAC mène également un processus de négociation avec les plates-formes de coavionnage, dans le but d’arriver à un consensus. A l’heure actuelle, les positions sont loin d’être concordantes, mais des avancées significatives ont pu voir le jour : en terme de sécurité, Wingly et Coavmi s’engagent par exemple à ce qu’un pilote totalise un minimum de 100 heures de vol, dont 12 dans les 12 derniers mois. Ces concessions ont pour but d’assouplir la position, jusqu’à présent peu flexible, de la DGAC. Il n’est donc pas exclu que la position française évolue dans les jours qui viennent, pour se ranger enfin aux côtés de ses voisins européens. Réponse dans quelques jours…